Réflexions après la Via Alpina
Tu sais, je pense que même toi tu as besoin de ne pas sortir de tous les sentiers battus, d’avoir une stabilité à quelque part.
Ces mots, c’est Diego qui me les dit, au milieu de magnifiques montagnes, en montant un col. Ils me resteront dans la tête tout au long du chemin.
J’ai toujours critiqué la société, toute ma vie j’ai eu envie de m’enfuir, loin, très loin, pour ne pas prendre part à ce système que je trouve injuste, qui nous vole notre vie, nos rêves. Ces quelques mots de Diego me firent penser à une phrase que des amis me dirent un jour, avec une grande sagesse :
Il faut agir, et non réagir
Cette phrase, elle fait mal, car elle est d’une justesse incroyable. Comme celle à Diego. En vérité, je n’ai pas envie de tout perdre, j’ai tellement de chance ici ! Quelques temps en arrière, je me donnais à fond dans le sport, je n’écoutais aucune recommandation de mes médecins, je poussais mes limites en delà du raisonnable. C’étaient mes débuts en sport, peu de gens remarquaient cet acharnement que j’avais à vouloir me prouver que j’étais « normale ». Pas malade. Je fuyais ma maladie et cette obsession pour l’oublier ne faisait que la rendre de plus en plus importante à mes yeux.
Tu ne dois pas faire de haute intensité, pas de sprint, c’est dangereux. Si tu as des vertiges ou que tu ne te sens pas bien, tu dois t’arrêter, même si c’est 1 kilomètre avant la fin de ta course.
Les mots du cardiologue résonnaient dans mes oreilles, en voix off. Je me rappelle ces courses où j’avais la tête qui tournait, je voyais un voile noir par moment, mais je continuais, encore et encore, me répétant que je ne devais pas laisser la maladie prendre le dessus. Je n’étais jamais satisfaite de mes résultats, je me disais toujours que j’aurais pu faire mieux, parce que les autres y arrivent. A force de vouloir oublier ma maladie, elle prenait énormément de place, et c’était malsain. Si un jour j’étais particulièrement fatiguée, je me forçais quand même à aller courir ou faire du vélo, même si je n’y trouvais pas de plaisir. Il ne fallait pas laisser mon syndrome prendre le dessus.
Le jour avant mon départ pour la Via Alpina, j’apprenais que dans un mois j’allais perdre mon logement. Je venais d’échouer pour la deuxième fois ma première année de biologie. Je n’avais plus droit légalement au soutien financier que je bénéficiais pour cette formation. Le cardiologue m’a interdit de faire toute compétition. J’apprenais la nouvelleb pour mon opération du cœur. La Via Alpina m’était déconseillée. J’étais autorisée à la faire uniquement en marchant.
Tu sais, je ne suis que ton conseiller. Si tu veux quand même faire des courses ou courir la Via Alpina, je ne peux rien n’y faire. Mais moi, j’ai envie que tu continues à aller bien. Si tu ne veux pas suivre mes indications, je ne serai pas fâché, je ne refuserai pas de te soigner si ça se finit mal. Ce que je te dis, c’est pour toi. A toi de voir ce que tu veux en faire.
Je partais pour un sentier de plus de 400 kilomètres à travers les montagnes, mais je partais surtout dans le néant. J’avais perdu la stabilité à un peu près tous les niveaux possibles. La Via Alpina, j’avais envie de la faire en trail, mais j’avais surtout envie de me confronter à mes limites. De me retrouver épuisée, pour pouvoir trouver les ressources en moi pour continuer. Et pouvoir par la suite utiliser ses ressources une fois la Via Alpina finie. Je n’avais parlé à personne des difficultés dans lesquelles je plongeais. J’ai couru une bonne partie de la Via Alpina, et c’est un risque que j’ai accepté de prendre. Je veillais à garder un rythme cardiaque pas trop élevé. Cela allait être mon dernier défi avant de me lancer dans le méli-mélo de problèmes qui m’attendaient une fois arrivée.
Le jour le plus dur de la traversée, j’étais seule, et c’était moi qui avait demandé à ne pas être tout le temps accompagné, afin de vivre le voyage de manière différente aussi. Mon genou droit brûlait, chaque pas me créait une douleur aiguë qui montait dans la jambe. Je n’arrivais presque pas à courir, j’étais épuisée mentalement de ressentir cette douleur à chaque pas. Florent me rejoint quelques kilomètres avant mon hôtel : « Il y a eu un problème pour la réservation de ta nuit à l’hôtel, il est finalement 20 kilomètres (et plus de 1000m D+) plus loin. Si tu ne le sens pas à pied, on peut prendre le train ». J’ai eu beaucoup de peine à avaler cette nouvelle. J’étais presque au bout des 40 kilomètres prévus, et il me fallait faire encore tout ça, avec mes muscles fatigués et la douleur au genou droit ? Heureusement, les caramels de Flo me redonnent un tout petit peu de courage. Je n’ai jamais abandonné aucune course, j’ai toujours été au bout coûte que coûte. Mais il me restait encore beaucoup de jours… Je savais au fond de moi que le plus sage était de prendre le train pour éviter d’empirer la blessure et pouvoir aller au bout du voyage. J’ai finalement pris cette décision et je m’en suis voulue terriblement de ne pas avoir essayé d’aller jusqu’au bout de cette journée.
Le lendemain, Diego m’annonce que Samuel, l’organisateur, a prévu un jour de plus et donc de plus petites étapes pour me permettre d’économiser mon genou (et mon tendon d’Achille gauche qui était enflammé depuis le début de la traversée). Lorsque je l’apprend, je suis furieuse, et je demande que les étapes initiales soient gardées, avec une grosse étape de prévu le lendemain (plus de 3000m de D+). Mon genou va mieux, je m’en veux tellement de ne pas avoir été au bout le jour précédent que je ne veux surtout pas recommencer, je veux aller plus loin dans la difficulté.
Un peu plus tard, pendant la descente, j’ai ressenti toute la peur et la tristesse des difficultés qui m’attendaient après la Via Alpina ressortir. Je m’étais tellement battue pour obtenir ces choses, et elles s’écroulaient devant moi. Diego courait à quelques mètres de moi. La tristesse est arrivée avec une telle violence que j’accélérais ma foulée dans la descente le plus possible, jusqu’à avoir mal aux dos, aux genoux, partout, pour ne pas penser à cela. Je pleurais, je ne voulais pas qu’il voit mes larmes couler, je ne voulais pas parler de ça. Je m’étais imaginée que si je n’en parlais pas, je n’allais pas y penser et que je pourrai profiter de ce périple loin de tous ces soucis.
ça va Mimi ?
Ma gorge se serre, je m’arrête, mes yeux se remplissent de larmes.
Non… J’ai mal au dos.
Elle est pratique ma maladie pour exprimer mon mal-être quand les vraies raisons sont trop dures à dire, mais que j’ai juste besoin d’un peu de réconfort. Et finalement, je lui raconte la situation dans laquelle je me trouve. Peut-être que concrètement ça n’a rien changé, mais ça m’a fait du bien d’en parler. Je me suis rendue compte que je ne peux pas m’en sortir toujours toute seule, c’est hypocrite de faire croire que tout va toujours bien. Je mettais un point d’honneur à essayer le plus possible à ne pas faire souffrir mon entourage de mes problèmes, mais au final c’est pire de mentir…
Le long de l’une des dernières montées de col, je réfléchissais à la liberté. L’environnement dans lequel je marchais dégageais une paix apaisante, c’était très beau. Au fond, à force de toujours vouloir faire exactement le contraire de tout le monde, à force de toujours vouloir fuir n’importe quelle chose de la société, de toujours vouloir sortir des sentiers battus, de vouloir être libre à tout prix, de toujours vouloir être heureuse, je m’enchaînais moi-même. Je m’interrogeais sur les raisons de ma colère face au changement de programme que Samuel avait prévu, et par rapport au jour où j’avais terminé mon étape en train, qui partaient pourtant sur des bonnes intentions. J’avais peur de me rendre compte que j’étais nulle, que je n’y arrivais pas, j’avais peur de mes faiblesses, de décevoir les gens ! J’étais fâchée qu’il ait pu penser que c’était trop dur pour moi. Pourtant ma colère n’avait pas lieu d’être. Je n’avais pas à m’en vouloir d’avoir fait le dernier bout en train. Je n’avais pas toujours à en faire plus et plus encore. Et si je m’autorisais à être contente avec ce que je fais déjà ? A me dire qu’il n’y a pas besoin de toujours en faire plus ? Que si je fais de mon mieux c’est déjà bien ?
Et si la liberté, c’était de suivre son cœur, sans se soucier de savoir si on rentre dans le moule ou non, de savoir ce que vont en penser les autres, plutôt que de vouloir systématiquement sortir du système ou en faire plus ? Si la liberté était simplement d’écouter ses véritables envies ? D’éviter de tomber paradoxalement dans le conformisme camouflé dans l’anticonformisme…
L’arrivée m’a montré une fois encore que j’ai la chance d’être entourée de personnes incroyables, et qu’il n’y a pas que du mauvais dans la vie, il y a aussi plein de belles personnes, plein de beaux métiers que l’on puisse faire. L’important est de suivre son cœur, en évitant d’agir par rapport aux autres, mais de faire les choses avant tout pour soi. Cette Via Alpina a été un magnifique cadeau.
Aujourd’hui, avec le recul, je me rend compte qu’elle m’a appris que le sport est important pour moi, mais qu’il est plus important encore de s’écouter, de garder le plaisir, et de profiter aussi des belles choses de la vie également en dehors du sport ! Si j’ai eu autant de plaisir durant la Via Alpina, c’est que je me suis écoutée, que je ne me suis pas souciée du regard des autres, la seule chose que je faisais, c’était profiter de la montagne.
Merci à vous tous qui m’avez suivi à distance, merci à mes amis Diego, Flo, Céline, Julien, Kira et Blandine qui m’ont accompagnée, à Maud que j’ai croisée sur le parcours, à la famille d’Attalens et à Loïc qui m’ont logé, à Samuel, Frédéric et le donateur anonyme qui ont organisé et m’ont permis financièrement de réaliser mon rêve, et merci à tous ceux qui étaient présents sur la ligne d’arrivée, de près ou de loin. Merci à Amsed Génétique et Planet Endurance pour le sponsoring.
PS : J’ai trouvé un magnifique logement, j’arrive à m’en sortir financièrement et je continue de courir et de pédaler pour le plaisir, hors compétition, en attendant mon opération cardiaque, tout en songeant à mes prochains périples.