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Lettre ouverte au médecin qui m’a prise pour une folle

Vendredi passé il m’est arrivé quelque chose de nouveau, que je n’avais jamais expérimentée auparavant dans le milieu médical. J’avais déjà entendu nombre d’amis qui avaient vécu cette situation mais cela ne m’était jamais arrivée.

Actuellement je suis très fatiguée. Il y a un peu plus de deux semaines j’ai fait un malaise à mon travail suite auquel j’ai été hospitalisée 4 jours au CHUV. J’étais trop dosée en bêtabloquant et la dose a été réduite de 3/4. Malgré cela, la fatigue ne diminuait pas. Le cardiologue a donc fait un bilan sanguin large et mis à part le taux de fer un peu bas, il n’a rien trouvé d’autre. J’ai reçu une injection de fer et le lendemain j’avais rendez-vous avec mon médecin traitant pour faire une mise au point. Celui-ci, suite à un incident, est absent pour deux mois et c’est son collègue qui m’a vu.

Il m’a fait tiré la langue, a tâté mes ganglions et a déclaré (sans me poser la moindre question…):

« Cas psychiatrique, il faut voir du côté des psychiatres, tous les opérés cardiaques, tous, font une dépression post-opératoire, il reste à déterminer si tu souffres de troubles psychiques, si t’es folle ou si tu fais juste une dépression. »

Je suis restée muette. J’ai eu envie de lui jeter à la figure que si lui était en dépression ce n’était pas une raison pour parler comme ça avec ses patients. Mais je me suis tue, les mots restaient bloqués dans ma gorge.

Alors à ce médecin je lui transmets cette lettre ouverte:

 

Monsieur,

Je vous écris suite à la consultation du 30 septembre.

Je ne savais pas que la folie de quelqu’un se déterminait par la forme de sa langue, mais c’est la conclusion que j’ai tirée suite à vos propos. Je dois dire que j’ai été choquée de vous voir claironner haut et fort que j’étais un cas psychiatrique après environ 10 secondes d’examen clinique.

Vous devez sans doute vous sentir très mal dans votre peau et j’en suis bien malheureuse pour vous.

En ce qui me concerne, je me sens très bien, j’ai plein de rêves dans ma vie, d’objectifs, de joie, et je suis tout à fait satisfaite de ma situation actuelle. Visiblement le bonheur qui se dégage de moi vous choque et vous aviez besoin de faire souffrir quelqu’un ce jour là pour vous sentir un peu mieux. Alors oui je vous avouerai pour votre petit plaisir qui vous fera vous sentir mieux que j’en ai marre d’aller à l’hôpital, que si je pouvais passer mes journées à courir dans les montagnes je serais vraiment au summum du bonheur. Mais vous voyez, je pense qu’à mon âge c’est normal de vouloir faire plein de choses, de voir ses amis, de faire du sport, etc plutôt que de passer des jours et des nuits dans des couloirs blancs. Et je vous avouerai qu’effectivement parfois je souhaiterais ne pas avoir de maladie, certains jours j’ai quelques regrets quand je vois des gens en pleine santé.

Mais ce que je n’ai pas pu vous dire, car vous ne m’avez pas laissé dire la moindre phrase durant votre consultation, c’est que si je pouvais changer la moindre chose dans ma vie, je ne le ferai pas.

Que ces opérations et ces heures dans l’hôpital m’ont donnés une conscience incroyable de la chance que j’ai d’être en vie, du bonheur que c’est de sentir le soleil sur sa peau, de voir des sourires, des fleurs. Que depuis ces opérations je suis chaque jour tellement reconnaissante à la vie de la chance que j’ai d’être entourée de personnes tellement incroyables, d’avoir tellement de soutien. Les épreuves de ma vie sont aujourd’hui mes plus grandes forces et de mes faiblesses je tire mon énergie. Lorsque je trouve un jour plus dur qu’un autre, je regarde en arrière et je sens la fierté monter en moi de n’avoir jamais abandonnée et de pouvoir enfin vivre avec un grand V.

Oui je suis pâle, fatiguée, j’ai chaud et froid, je perds du poids de manière inexpliquée, mais si vous traduisez cela comme une tristesse c’est que vous ne m’avez pas demandé mon avis. Car dans ma tête, il y a certes la lassitude de cette fatigue, l’envie de pouvoir à nouveau courir complètement libre dans les grands espaces, mais ce que vous n’avez pas vu c’est que dans ma tête il y a aussi tellement de reconnaissance, de bonheur, de soleil, de joie de vivre malgré la santé, que je suis à des années lumières de toute envie d’abandonner, et que je ne suis pas du tout triste de ma vie qui est chaque jour un cadeau précieux, même avec la fatigue. Vous ne m’avez pas laissé vous dire combien j’aime toute chose, à quel point je suis heureuse avec un travail que j’apprécie par dessus tout, un logement de rêve, un entourage constitué de personnes tellement touchantes. Vous ne m’avez pas laissé vous dire combien je regarde autour de moi et je vois toutes ces belles choses, ces petites feuilles, ces arbres, ces oiseaux, ce lac et à quel point j’y suis attachés. Vous ne m’avez pas laissé vous raconter ces fous rires malgré la fatigue, le gâteau que j’ai fait hier, les blagues des mes amis, les jeux de société qui me réussissent bien, la journée géniale que j’ai passée au travail et tout le chocolat que j’ai mangé.

J’ai beau chercher, je ne vois vraiment pas d’où vous avez sorti votre histoire de problèmes dans ma tête. Pourtant votre état m’a fait beaucoup de peine et je suppose que pour tirer une conclusion comme celle-ci au risque de gâcher la vie de certains patients, vous devez probablement être en dépression. Vous aviez l’air d’avoir de la difficulté à écouter.

Si vous le souhaitez je peux vous conseiller une très bonne psychologue.

D’ici-là j’espère que d’autres n’auront pas à souffrir de vos paroles et que surtout vous ne direz pas les propos tels quels à quelqu’un qui est vraiment en dépression, vous risquez de l’enfoncer au fond du trou.

Je vous suggère de commencer vos consultations par la question: « Dites-moi ce qu’il vous arrive, comment vous sentez-vous? »

 

Avec mes meilleures salutations,

 

Myriam Duc

 

PS: J’oubliais, j’ai un nouveau médecin.

 

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