Le sport: thérapie physique, thérapie psychique
Le sport, mon meilleur traitement médical, ma meilleure psychothérapie. La découverte du potentiel de mon corps, qui me semblait pourtant si fragile et si douloureux. Le renforcement mental et la découverte d’une nouvelle dynamique de vie. Ou comment passer d’une vie sédentaire marquée par les douleurs chroniques au rêve de l’ultra-trail.
Je me souviens de ces crises régulières de douleur où je me roulais en pleurant, incapable de maîtriser mon propre corps. Je me souviens de cette période du gymnase (lycée) où je n’allais en cours qu’un jour sur deux, la douleur me clouant au lit le reste du temps. Je me souviens des opérations, des hospitalisations, des examens médicaux douloureux. De la peur aussi. Peur d’aller à l’école, peur d’aller à la maison, peur de mon corps qui semblait ne pas m’appartenir, peur de moi-même, peur de mes parents, peur de l’être humain. Je haïssais l’être humain, je me haïssais. Lorsque j’étais trop humiliée, trop révoltée, je sautais par la fenêtre de ma chambre (au rez-de-chaussée) dans la rue et je courais le plus vite que je pouvais à la montée, jusqu’à ce que la douleur physique atteigne le niveau maximum que je pouvais m’infliger. Et là, mon esprit se calmait. Je finissais toujours par rentrer, mais cette fois à l’abri derrière mon mur mental, blindé, et plus rien ne m’atteignait.
J’ai pour la première fois réussi à m’intégrer socialement à 16 ans, au manège où j’ai appris à monter à cheval. Les gens étaient gentils avec moi, le contact avec les animaux m’équilibrait. Je m’y suis fait mes premiers amis. Je ne vais pas aborder ce sujet plus en profondeur ici, il mérite sans doute un article. Mais il me manquait encore quelque chose. Un moyen de vider mon surplus d’énergie, de vider la haine, d’échapper à la peur.
La physiothérapie a alors commencé, dans le but de limiter les douleurs chroniques liées à ma maladie (et dans mon cas sans doute exacerbées par le contexte dans lequel je vivais). Me voilà avec une physiothérapeute très sympa. Le challenge? Muscler mon corps et travailler la proprioception pour éviter les luxations et subluxations multiples, les chutes (c’était ma spécialité, même en marchant… d’ailleurs ça l’est toujours 😉 )
et limiter les douleurs chroniques. Un an et demi de travail musculaire intensif. J’adorais cela, je me donnais à fond. Les douleurs étaient intenses les premiers mois, parfois j’avais envie d’abandonner tellement elles étaient fortes, mais je serrais les dents et ne lâchais rien. Plus la douleur était violente, plus la souffrance liée à ma situation familiale diminuait. Petit à petit les douleurs se sont atténuées et j’ai commencé à supplier ma physiothérapeute de me laisser courir malgré l’interdiction médicale. J’avais droit à quelques précieuses minutes de course à pied en fin de séance, quand je n’avais pas d’inflammation articulaire. Puis j’ai commencé à faire du vélo, d’abord un peu, puis de plus en plus. J’ai croisé sur ma route une cycliste qui m’a dit qu’un VTT n’est pas plus lent qu’un vélo de route. Je l’ai crue les yeux fermés mais… aujourd’hui j’aurai deux mots à lui dire! Je pédalais donc aussi fort que je le pouvais pour tenter de suivre les vélos de route. Je n’y arrivais pas vraiment mais je développais ma puissance musculaire et mon endurance . Les cyclistes que je croisais me saluaient d’un signe de tête, je me sentais enfin reconnue. J’ai fait des distances de plus en plus longues, jusqu’à faire tout le tour du lac Léman avec ce vieux VTT trop grand pour moi par 35°C. Je roulais avec un sac à dos rempli de barres de céréales et 4L d’eau dedans. J’ai bouclé le tour tant bien que mal, les fesses en feu, le dos hyper douloureux, les genoux en vrac. Et là ce fut une révélation. J’avais réussi! Je me suis rendue compte que si je voulais que la vie meilleure dont je rêvais se concrétise, il allait falloir y mettre l’énergie nécessaire. Je commençais à penser que mes rêves les plus fous pouvaient se concrétiser. J’ai banni le mot “impossible” de mon vocabulaire. Peu de temps après, ce fut la fin de la physiothérapie.
J’a décidé alors de ma lancer (pour de vrai) dans la course à pied. Et un jour, courir (presque) comme tout le monde a été possible. J’ai couru pour la première fois de ma vie plus de 2 kilomètres, ma distance maximale jusque là, datant de la course d’endurance de l’école longtemps auparavant. Puis j’ai augmenté le nombre de kilomètres. Un mois plus tard j’étais au départ de ma première course, 10 kilomètres à plat, et un magnifique souvenir. J’avais les larmes aux yeux à l’arrivée. Tous ces gens qui m’applaudissaient, qui m’encourageaient! Je frissonnais de bonheur, émue. J’avais le sentiment de ne plus être malade, je sentais que mes jambes me portaient solidement et que mon corps m’obéissait, enfin. J’ai couru de plus en plus.
Je ne peux parler de sport sans mentionner l’équipe où je m’entraîne. J’ai décidé de la rejoindre dans un premier temps parce que j’avais envie d’être soutenue, encouragée, reconnue, encore une fois. Je me souviens du premier entraînement, où j’ai mis au courant le coach de mes problèmes de santé. Je m’imaginais qu’il allait me plaindre, me dire d’y aller doucement, … Bien au contraire, j’étais perçue exactement comme n’importe quel autre coureur de l’équipe et heureusement! J’avais l’entière responsabilité de gérer mes entraînements. Je courais? On m’encourageait. Je m’arrêtais avant les autres? Personne ne me blâmait. Au fil des entraînements, j’ai commencé à percevoir mes limites. Durant une période j’étais fatiguée, les problèmes cardiaques s’aggravaient et je n’arrivais pas à faire l’entier de l’entraînement. Mon corps me forçait à m’arrêter avant. J’avais l’impression d’être nulle, j’étais persuadée que tout le monde se moquerait de moi. Une petite voix me disait que la course à pied ce n’était pas pour moi, trop dur, que j’étais différente des autres. Mais surtout, cette impression que mes parents avaient raison, je n’étais rien, une incapable. Et à mon grand étonnement personne ne me faisait de remarque ou de reproche, personne ne se moquait de moi, personne ne me disait que j’étais nulle, bien au contraire. Petit à petit j’ai commencé à moins faire attention au regard des autres mais à faire les choses pour moi, et ce fut un changement incroyable dans ma vie en général! Les entraîneurs insistaient toujours sur la notion de plaisir, du défi envers soi-même sans se soucier de la performance des autres. Ce fut tellement important pour moi. Je n’avais rien à prouver à quiconque, et c’était à moi de gérer jusqu’où je voulais pousser mon effort. Finalement, je me rendais compte que je n’avais plus besoin de me détruire physiquement pour calmer la souffrance liée à mon passé, mais que je pouvais juste être là, me faire plaisir, être avec les autres. Et un jour, un des coachs m’a conseillée de me mettre au trail. J’ai tout de suite pensé qu’il n’avait aucune idée de ce que ma maladie impliquait, que je n’allais jamais pouvoir courir ces longues distances, que c’était réservé à des super héros. J’étais persuadée qu’il se trompait.
Pourtant une partie de mon esprit demeurait tentée par l’aventure. Par hasard j’ai vu sur internet que le trail des dents du midi (57 km, 3700m D+) organisait une nouvelle épreuve sur deux jours, pour découvrir la discipline. J’ai immédiatement cherché une coéquipière. Le 20 septembre, un an après mes débuts en course à pied, je franchissais la ligne d’arrivée, tout sourire, des étoiles plein les yeux. Je crois que je n’ai jamais été aussi heureuse qu’à ce moment là. Quelques semaines plus tard, je gambadais sur 68 km et 2048m D+. A nouveau, ce fut une journée magnifique. La simplicité des coureurs, la beauté de la montagne, la gestion de l’effort longue distance, les délicieux ravitaillements, la raclette à l’arrivée… J’étais dans mon milieu! Où était ma maladie? Loin, très loin. Au lieu de maudire mon corps pour les souffrances qu’il me donnait, je le remerciais! Où étaient la peur, la haine, les brûlures liées à mon passé? Disparues … Semées quelque part sur les sentiers. Mon esprit était enfin libre durant ces épreuves. Ce fut le gros coup de coeur… Je ne prêtais plus attention à mon classement dans la course, seul comptait la relation intime avec la montagne, le partage avec les “concurrents”, et le plaisir de courir. Voilà que je découvrais quelque chose d’autre au-delà des limites. J’oubliais la fatigue, j’oubliais la prudence, j’oubliais la souffrance et je me retrouvais hors du temps, la douleur semblant appartenir à une autre dimension. Je n’avais plus peur. Je me sentais forte. Tous mes soucis me paraissaient bien lointains.
C’est une belle aventure qui a commencé, et aujourd’hui j’ai des rêves plein la tête… une nouvelle réflexion me vient… A-t-on réellement des limites?
Prochains objectifs:
2015 – Trail Verbier St-Bernard / La Traversée, 61 kilomètres et 4100m D+
2016 – Ultra-Trail du Mont-Blanc / La CCC, 101 kilomètres et 6100m D+
“Faites que votre rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve.” Antoine de St-Exupery