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Le regard des autres… après plus de 100 points de suture

Je me rappelle de cet été durant lequel, sans plus penser à la cicatrice qui traverse ma poitrine, j’ai pris un bikini au lieu du maillot une pièce pour aller nager . J’avais l’habitude de cacher ce trait rouge qui me scinde en deux, le protégeant du soleil et des regards. Ce jour-là, je n’avais pas penser à cela en préparant mes affaires pour aller nager.

Je me prépare à plonger dans la piscine. Je me perds quelques instants dans mes pensées avant de me lancer dans l’eau, quand je me sens soudainement observée. Sur ma droite, le regard d’une dame croise le mien, descend lentement sur ma poitrine coupée en deux de ce trait vif, continue sur mon genou tout bleu, avant de s’arrêter sur mes tibias marqués. Il scanne tout mon corps et retrouve mon regard, l’air troublé, gêné. Je lui lance un grand sourire. Ses yeux se troublent d’autant plus et elle détourne la tête, l’air dégoûté.

Je ne saurais dire combien de ces regards j’ai croisés.

Depuis que je suis née je suis couverte de marques, d’hématomes de cicatrices. L’oreille, le menton, le front, le ventre, sous l’aisselle, le biceps, sur la hanche, la poitrine, le coude, les genoux, le petit doigt, les tibias… Mon genou gauche cumule à lui seul plus de cinquante points de suture superposés. L’hôpital, les piqûres, le sang, je suis tombée dedans quand j’étais petite. J’ai pris l’habitude d’entendre les mots dégoûtés des autres enfants de ma classe quand mes articulations se retournaient ou quand j’avais des cicatrices vilaines. Avec mon syndrome d’Ehlers-Danlos, ma peau est encore plus fragile que chez les autres personnes et je cicatrise mal. J’ai grandi en ayant une piètre estime de moi-même, ma famille comme mes camarades de classe n’hésitaient pas à dire que j’étais vilaine, moche. Mes parents ont ancré dans ma tête de petite fille qu’avec de telles marques sur la peau, personne ne voudra de moi. Ils ont insufflé cela au plus profond de moi. Il me semblait donc normal que je n’avais pas d’amis à l’école et que l’on se moquait de moi. Je n’étais pas un être qu’on puisse aimer.

On m’a appris que ces choses-là, il fallait les cacher et ne pas les montrer. Je me souviens de cette phrase que ma mère répétait souvent:

« Ne parle de ta maladie à personne, une jeune fille se doit de montrer ses qualités et cacher ses défauts. Si t’en parles, tu n’arriveras jamais à te marier »

Je voyais mon corps dans le miroir de la salle de bain, je me trouvais tellement laide. J’avais raté ma vie. J’étais nulle, rien, un zéro, une ratée. Une erreur. Un poids. Rien ne pourrait jamais le changer.

Pourtant, j’ai grandi, je me suis affirmée. Je me suis rendue compte des injustices que je vivais. Je me suis battue de tout mon cœur, de toutes mes forces pour sauver ce qu’il restait de mon identité et me reconstruire dans un cadre meilleur. Mon corps, qui était si laid, qui me faisait souffrir par de violentes douleurs chroniques à cause de ma maladie, ce corps qui était auparavant si faible est devenu fort. Il m’a mené sur des kilomètres et des kilomètres à la poursuite de mes rêves, à la recherche de qui j’étais vraiment. Et un jour, je l’ai aimé.

Pourtant, ce mois d’avril 2016, lorsqu’ils ont retiré le pansement qui traversait ma poitrine en deux, j’avais un peu d’appréhension de voir cette énorme cicatrice. Je l’ai vue, grâce à mon portable (je n’avais pas assez de force pour me lever du lit et la regarder dans le miroir). Loin de voir quelque chose de vilain, je vois un magnifique trait fin sur 25 centimètres environ. Ma plus belle cicatrice (merci le chirurgien!). Loin de me faire honte, j’en éprouve de la fierté.

Aujourd’hui, mes marques, mes cicatrices, je ne les cache plus et surtout je les apprécie, ce sont les marques des épreuves par lesquelles je suis passée, les marques de mes combats, de mes guerres et surtout de mes victoires.

Aujourd’hui, je suis là, je suis debout. J’ai survécu. J’ai survécu aux opérations, mais ce n’était pas le plus dur. J’ai survécu à toutes ces personnes qui ont essayé de m’étouffer. Je suis plus forte que jamais. Mon corps, rompu aux épreuves de la vie, arbore ces cicatrices comme des peintures de guerre. Il a surmonté la mort et la haine. Et il a gagné.

 

« First they ignore you, then they laugh at you, then they fight you, then you win. » Gandhi

« D’abord ils t’ignorent, puis ils se moquent de toi, puis ils te combattent, puis tu gagnes. » Gandhi

 

hematomes

 

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