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Eloge de l’imperfection

Je me souviens du cours de philosophie au gymnase durant lequel j’avais entendu parler pour la première fois d’Alexandre Jollien et de son livre « éloge de la faiblesse ».  Cet homme suisse, né infirme moteur cérébral, lance plusieurs réflexions dans son petit livre  à propos de la normalité, de son intégration à la société et de la vie parmi d’autres personnes infirmes dans un centre spécialisé. J’étais tout récemment diagnostiquée de mon syndrome d’Ehlers-Danlos à ce moment-là et son récit m’avait été droit au cœur.

Aujourd’hui, dans une société où la recherche du perfectionnement, du rendement et de la performance se situent à chaque niveau, je ne me sens plus à ma place dans cet énorme tourbillon. Sans doutes les deux mois que j’ai passé hospitalisée suite à mon opération du cœur, mon histoire familiale sombre et le long chemin qui s’en est suivi pour retrouver une bonne forme physique et une paix intérieure ont remué au fond de moi bien des principes.

Le progrès est de manière générale perçu comme la recherche d’un idéal où il faut aller chercher toujours plus et toujours plus loin pour parvenir à une certaine notion du bonheur, de la reconnaissance et est un objectif pour bien des personnes. Il est perçu comme le moyen de « s’en sortir », de progresser, d’avancer et est utilisé comme motivation, que ce soit à l’école (faire des meilleurs résultats), dans le sport (être plus performant, plus rapide, plus fort), dans le travail (produire plus, vendre plus). La réussite est appréciée comme une victoire personnelle, valorisée et l’échec est perçu comme dévalorisant. De manière très résumée « tu as raté, donc tu es nulle » ou alors le fameux: « tu peux mieux faire ».

Suite aux expériences que mes quelques années de vie m’ont apportées, je me questionne aujourd’hui sur ce qui m’a le plus apporté: étaient-ce les bons résultats à l’école? les quelques (rares) podiums en sport? les petites victoires?

Non

Ce qui m’a fait grandir, découvrir mon identité, et qui a donné un sens à ma vie ce ne sont pas ces moments-là. Ce sont mes échecs, que ce soit à l’université ou dans la vie en général. Ce n’est pas quand tout allait bien que je suis devenue forte, c’est quand je me suis retrouvée sans argent, sans logement, sans avenir, sans forces, quand je me suis retrouvée confrontée à la mort. L’énergie que j’ai aujourd’hui et cet amour débordant pour la vie proviennent de ces moments-là, de la prise de conscience des tout petits bonheurs de la vie qui sont pourtant essentiels, du plaisir de pouvoir sentir le soleil sur ma peau, respirer l’air pur et être sûre de pouvoir dormir au chaud, le ventre plein.

Tout dans la société actuelle nous pousse à donner le meilleur de nous-même, à éviter les échecs et réussir dans le plus de domaines possibles. La publicité également nous incite à suivre un idéal de beauté, de mode, en nous faisant croire que pour se sentir bien il faut ressembler à ces « portraits-robots » – comme j’aime bien les nommer – avec les sourcils bien découpés, le visage symétrique, une silhouette fine…

Je n’entends jamais – ou presque – parler des vertus de l’échec, de la différence, des doutes. N’y aurait-il pas tellement à gagner si on apprenait à aimer nos imperfections, nos faiblesses, nos moments de vide, au lieu de les condamner? Ne serait-on pas bien plus fort si nous utilisions ces expériences difficiles dans la vie comme des moyens de pouvoir rebondir, de devenir invincible, de ne pouvoir se faire briser – car comment être blessé si nous nous apprécions en entier, avec notre côté positif tout comme avec notre ombre?

Cette mélancolie, cette détresse que nous ressentons parfois, ces murs qui se dressent devant nous, ne sont-ils pas une magnifique occasion de découvrir de nouveaux chemins, de repartir sur d’autres bases, de remettre en question notre mode de vie et de se construire ainsi petit-à-petit de manière à être en cohérence avec nos pensées et notre philosophie? Pourquoi blâmer ces moments-là et vouloir les fuir, les juger ou les dénigrer à tout prix alors qu’ils ont tant à nous apporter si nous les abordons de manière sereine et posée?

Et si le bonheur ce n’était pas cette recherche de la perfection mais plutôt d’accepter ce côté moins brillant qui nous côtoie chacun quotidiennement de manière différente, de l’écouter et de l’utiliser comme un guide pour éviter de se renfermer dans une routine bien trop rodée et dans une recherche du « toujours plus », qui dès qu’il est atteint doit être à nouveau dépassé ?

Et si nous laissions nos échecs, nos frustrations et nos faiblesses nous faire découvrir d’autres chemins, d’autres questionnements afin de rester en cohérence avec nous-même et avec notre environnement, et de pouvoir tolérer ainsi bien plus la différence ou ce qui peut nous sembler imparfait chez les autres…

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