Une année pour appréhender mon présent
Voici un texte que j’ai écrit lors de mon année sabbatique. Puisse mon parcours donner de l’espoir aux oubliés de l’amour. Un merci tout particulier à mes compagnons d’infortune qui ont été à mes côtés… et à tous ceux qui m’ont encouragée à suivre mon chemin, aussi difficile soit-il.
Pourquoi cette idée?
Peut-être, parce que c’était le seul moyen de me garder en vie, moi, Myriam, en tant qu’individu complet, qui puisse se reconnaître en tant que tel. Surtout ne pas devenir une ombre qui ne fait que passer, qui n’existe pas, se pliant à la volonté de ses parents, n’existant plus elle-même, luttant pour obtenir un papier universitaire qu’on lui exige alors même que sa vie n’a plus de sens, plus de couleur et plus d’odeur. La vie, jusque-là, c’était fade. Je n’existais pas, on m’obligeait à être comme on voulait que je sois. Mon sourire? Une façade, ou peut-être une lueur d’espoir, un rayon de soleil. La promesse intérieure de ne pas baisser les bras, d’être plus forte que mes parents, de m’en sortir. Sans me venger. Taire la haine qui me donnait l’envie de rouler mes parents dans la poussière, les mordre et leur marcher dessus. Non, accepter que c’était du passé. L’espoir de me trouver, d’admirer la beauté de la vie, et d’accepter mes difficultés. Surtout, ne pas répéter le cycle de la violence. Le briser, montrer à tous qu’avec sa volonté, sa force intérieure, on peut s’en sortir, sans haine, sans désir de vengeance. Sans passer par la délinquance, sans dépression, sans burn-out. Sortir de cette maltraitance, et vivre dans le présent. Combler ce manque d’amour qui me dévorait, qui me brûlait et qui me torturait. Soigner ce corps qui hurlait de douleur, qui disait stop à la haine. Je haïssais mon corps qui me faisait tellement souffrir. Chercher des relations affectives saines au fil de mes relations pour soigner mes blessures. Prendre du temps pour apprivoiser mon corps, le connaître. Et pouvoir m’aimer, me regarder dans la glace sans avoir honte. Voir mes jambes couvertes d’hématomes et de cicatrices sans me trouver laide. Voir mon cœur sans le trouver laid. Pouvoir enfin comprendre. Je n’ai pas de famille. Pas de maison. Solitude…
Mais je suis moi. C’était le prix à payer. Et finalement comprendre que la famille, je n’en ai jamais eue. De maison non plus. Quand je passe devant parce que je vais voir mes voisins, l’envie de vomir, l’impression d’étouffer, le corps qui tremble et la peur au ventre. La peur que ça recommence. En fait, je n’ai rien perdu, sauf l’espoir irréalisable d’avoir des parents aimants et un foyer qui m’accueille, que je puisse appeler «maison». Mes attentes envers eux. Mais apprendre alors à faire confiance en la vie, à pouvoir devenir une adulte «normale» malgré la carence affective et des relations familiales basées sur la violence et le conflit. J’étais incapable d’avoir des relations affectives normales avec mes amis, je voulais juste qu’ils me serrent dans leurs bras pour toujours et qu’ils me disent qu’ils m’aiment. Je ne voulais surtout pas me retrouver avec moi-même, avec mes blessures.
Commencer l’université tout de suite? C’était courir sans savoir aller. Se précipiter au risque de tout perdre. Commencer les études immédiatement aurait signifié être épuisée, sans repère, les nerfs à fleur de peau, et risquer le burn-out. J’aurais commencé des études sans savoir qui je suis, pourquoi je suis là, et pourquoi ça. Pourquoi ces parents. J’ai dit parents? plutôt cet homme et cette femme qui sont censés être mes parents. D’où venait cette violence, mais qu’est-ce que j’avais fait pour mériter ça? Alors venait une grande culpabilité, et pourtant je n’en trouvais pas la raison. Mais j’avais bien dû faire quelque chose de mal pour mériter ça? Oui, j’aurais dû ranger ma chambre… ou peut-être ne pas me bagarrer avec mon grand frère quand j’étais petite. Non, je connaissais la réponse. On m’a répété que j’étais de la vermine, une gamine gâtée, une imbécile, un gros bébé, et aussi une malade imaginaire. C’est fou, parce qu’on avait trouvé la mutation génétique qui correspondait à ma maladie. Diagnostiquée au milieu de mon cursus gymnasial, j’ai dû apprivoiser les consultations et les traitements à l’hôpital, une nouvelle vie a commencé. La quasi-totalité des examens médicaux montraient des anomalies. Dans mes souvenirs, il n’y a pas eu un jour où je n’ai pas eu mal. Et là, on essayait de me ridiculiser, on me prenait pour une idiote. «Pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt?» Désolée, je ne savais pas que vous vous n’aviez pas mal. Je croyais que c’était normal et que les gens étaient courageux, car ils ne se plaignaient pas, alors je faisais la même chose. J’étais de la vermine parce que je ne voulais pas rentrer dans le moule qu’on avait prévu pour moi. Parce que je refusais d’asservir ma mère pour combler ses propres blessures affectives. Je ne voulais plus toucher mon entourage par ces mêmes blessures. J’ai voulu me battre, pas avec mes poings, avec mon cœur, pour dire que j’avais le droit d’être là, et d’être moi! Je n’étais pas de la vermine! Oser dire non à ma famille, non au toit d’une apparente sécurité, non à la nourriture de mes parents, mais oser enfin me connaître. Et cela, rien ne pourra jamais l’égaler.
Alors j’ai pris cette année pour moi, pour me construire, pour me connaître, pour vivre enfin. Je voulais soigner mon corps, lui donner le repos qu’il m’a tant demandé. Je me suis lancée dans une véritable quête identitaire, une quête du sens de la vie. Je voulais trouver la beauté de la vie, ma raison de vivre. Me convaincre que je valais mieux que ce qu’on me disait. Je n’étais pas une folle avec des problèmes psychiatriques. On me l’a tellement répété que j’ai douté de moi. Aujourd’hui je sais que c’est faux. Après 18 ans de doute. Et j’ai tant de raisons de vivre!
J’ai travaillé dans une école. J’y ai fait des cours de mise à niveau à des élèves en difficulté scolaire durant l’été, puis j’ai donné des cours d’appui et je me suis occupée des enfants de la garderie parascolaire. Cela m’a permis de confirmer que j’aimerai enseigner par la suite, donc maintenir mes projets d’études. J’ai beaucoup aimé travailler avec les enfants. Leur curiosité, leur sourire et leur estime m’ont donné confiance. J’ai aimé mon travail. J’ai aimé leur insouciance et leur amour pour la vie.
J’ai également travaillé quatre mois à la fondation pluridisciplinaire d’oncologie, au CHUV. J’y ai découvert ce qu’est la vie, la beauté et la valeur qu’elle a. L’étincelle qui brillait dans le yeux de certains malades me réchauffait le cœur. Je soignais mes propres blessures, mes propres peurs en aidant ces personnes magnifiques. J’y ai appris à faire confiance à la vie, à vivre dans l’instant présent et à l’accepter en tant que tel.
C’est ce que j’ai fait au niveau professionnel. Mais le plus important n’était pas là. J’ai pris du temps, durant cette année, pour moi. Je n’avais jamais eu de temps avant, la moindre parcelle de temps libre devant être rentabilisé sous les ordres de ma mère. «T’es que de la vermine, et la vermine soit ça se rend utile soit ça s’élimine». Alors j’ai voulu me trouver en tant qu’être humain. J’ai été prise sous l’aile d’un couple qui m’a ouvert les yeux sur la beauté de la vie. Qui m’a laissé être et qui m’a fait confiance. Des sortes de tuteurs de résilience, qui sont venus me chercher quand j’étais perdue et m’ont donné, par leur exemple, l’envie de retrouver ma lumière. Qui m’ont dit que j’étais quelqu’un de bien et que j’étais plutôt belle. Je n’avais jamais entendu cela avant. Ces mots ont changé ma vie. Parallèlement à cela, j’ai suivi une psychothérapie dans un service spécialisé dans la maltraitance intra familiale.
J’ai appris à gérer mes émotions, à pardonner, à m’aimer et me connaître. J’ai cherché mon équilibre entre le physique, le mental, l’émotionnel et le spirituel. J’ai pu améliorer mes relations avec mon entourage grâce à des conseils et à des exercices que j’ai pratiqué assidûment. J’ai appris à calmer ma colère sans la déverser sur les autres. J’ai aussi appris à calmer la douleur et à me reposer lorsque mon corps me le demande. Je me suis écoutée, pour la première fois. J’ai donné un sens à mon passé, et j’ai accepté mon enfance.
J’ai connu une famille qui possède une ferme avec des chevaux. J’ai été régulièrement chez eux. J’ai monté à cheval, je me suis occupée des chiens et des chats et j’ai vécu une sorte d’intégration affective néanmoins distante dans cette famille, ce qui m’a permis d’avoir des repères. J’ai appris au contact de l’animal la patience, la maîtrise de soi, l’échange affectif. La maîtrise émotionnelle était une notion importante et je m’y suis entraînée petit à petit. J’ai aussi fait du vélo et de la marche. Au fil des rencontres, j’ai appris qui je suis. Lorsque je me retrouvais seule dans la nature, mon mental se taisait, mes soucis disparaissaient, je respirais l’énergie. J’aimais la vie, et j’aimais ma vie. Je n’avais jamais connu ce sentiment avant, où mon cœur se trouvait tellement rempli de gratitude, cette sorte de joie intense. En résumé, le plaisir de vivre. L’amour de la vie, qui débordait de mon cœur et m’a donné tant de force. Le bouleversement pour moi, on me disait que je n’obtenais que ce que je méritais, que je valais la peine d’avoir tant de bonheur!
Cette année s’est néanmoins avérée difficile par moment, notamment avec les nombreux changements de famille d’accueil (13 déménagements la même année!), ainsi que la gestion administrative que je ne connaissais pas du tout. De plus il me fallait parfois me débrouiller pour trouver de quoi manger et où dormir.
J’ai retrouvé mes forces, et maintenant que je sais qui je suis (même si on n’a jamais fini d’apprendre à se connaître), que j’ai de l’estime pour moi, des relations affectives stables, je me réjouis de commencer mon cursus universitaire, le cœur libre de toute haine, le corps reposé et une belle vie qui m’attend. J’ai décidé que j’allais construire le chemin sur lequel je vais marcher. Cette année sabbatique était le premier mètre qui me permettra de construire ma vie future, hors de la maltraitance et de la violence. En une année, j’ai tenté de rattraper ce qu’il m’a manqué durant 18 ans. Je ne suis pas mon passé, je ne suis pas ma maladie, aujourd’hui je suis Myriam, une jeune fille qui a sa lumière et son ombre, mais qui est là, et debout. Qui veut voir le monde avec son cœur. Et qui arrivera au bout de ses projets grâce à sa volonté. Pour tous ces gens qui m’ont donné la force de suivre mon chemin, et pour moi.
First they ignore you, then they laugh at you, then they fight you, then you win. Gandhi